Et si, sans même s’en rendre compte, le monde du travail était devenu une scène ?
Chacun y tiendrait son rôle : le manager infaillible, la collaboratrice toujours souriante, le collègue irréprochable… Tous parfaitement à leur place, ou du moins, en apparence.
Mais sous ces postures maîtrisées, que reste-t-il de la personne ? Que devient l’authenticité quand le rôle prend toute la place ?
Cet article n’est pas une critique du jeu professionnel — il en souligne l’utilité, parfois même la nécessité. Mais il interroge : jusqu’où peut-on jouer sans se perdre ? Et s’il était temps de réévaluer le costume, voire d’oser l’enlever un instant ?
Dès les premiers pas dans le monde du travail, chacun apprend, souvent sans même s’en rendre compte, à adopter des attitudes attendues.
Il ne s'agit pas seulement de maîtriser des compétences ou de répondre à un cahier des charges : il s’agit aussi de s’intégrer dans une culture, un ton, un style, parfois implicite, parfois institutionnalisé.
Cela peut passer par des gestes subtils : ajuster son langage, retenir une émotion, adopter une posture.
Rapidement, un rôle s’installe.Celui de la manager inébranlable, du collaborateur disponible, du leader inspirant, du collègue jovial, de l’experte rigoureuse, du “bon élève” discret.
Ces rôles ne sont pas nécessairement faux. Ils peuvent même servir de ressorts d’adaptation utiles pour évoluer dans un environnement exigeant.
Mais à force de les répéter, la frontière entre le rôle et la personne peut devenir floue.
Et un jour, la question surgit :
Est-ce que ce que je montre est encore moi… ou juste ce que l’on attend de moi ?
Jouer un rôle n’est ni une stratégie consciente, ni une mascarade hypocrite.
C’est une réaction humaine, presque instinctive, motivée par des besoins essentiels :
Le rôle devient une interface sociale qui protège, structure, permet de fonctionner dans un collectif.
Il permet de masquer les doutes, de contenir la fatigue, de préserver un équilibre fragile.
Et parfois, il devient un refuge.
Mais à force d’habiter ce rôle, il devient un costume dont on oublie qu’il est amovible.
Ce qui servait à protéger finit alors par enfermer.
Les signes ne trompent pas : irritabilité croissante, perte de motivation, fatigue chronique, baisse d’engagement.
Souvent, ces symptômes ne sont pas le fruit d’un manque de compétences ou d’une surcharge ponctuelle.
Ils peuvent être les conséquences invisibles d’un rôle trop éloigné de soi.
Lorsqu’une personne s’efforce en permanence d’incarner une version d’elle-même qui ne lui ressemble plus, elle se désaligne.
Elle s’épuise. Elle se fige.
Et à long terme, cela peut conduire à des états de détresse psychologique, voire à des ruptures brutales : arrêt maladie, perte de sens, démission intérieure.
Dans ces moments-là, la performance devient un jeu d’apparence.
Et la personne qui, de l’extérieur, semble parfaitement "dans son rôle", est parfois celle qui souffre le plus.
Revenir à soi ne signifie pas “tout dire”, “tout montrer”, ou fonctionner sans filtre.
Cela signifie retrouver de la cohérence entre ce que l’on vit intérieurement et ce que l’on exprime à l’extérieur.
C’est aussi une invitation à revisiter certains dogmes professionnels :
Donner aux individus l’espace d’être vrais, c’est aussi ouvrir la porte à des relations plus saines, à une créativité plus libre, à une coopération plus profonde.
Dans un collectif, chaque rôle a un impact.
Et lorsque ces rôles ne sont plus joués, mais incarnés avec justesse, alors l’organisation s’aligne, s’apaise… et respire.
Et si les managers, les RH, les collaborateurs et les équipes pouvaient ensemble questionner les masques, redéfinir les rôles, et s’autoriser à évoluer ?
Cela demande :
Ce n’est pas une démarche naïve, ni idéaliste.
C’est une réponse concrète à un mal-être diffus mais bien réel dans de nombreuses organisations.
Un collectif qui fonctionne, ce n’est pas un alignement parfait de rôles figés.
C’est un espace mouvant, vivant, où chacun peut ajuster son costume, modifier sa partition, ou même sortir de scène un moment, sans crainte de perdre sa place.
À l’heure où les entreprises cherchent à renforcer l’engagement, à prévenir le burnout, et à cultiver le sens, peut-être est-il temps de regarder autrement ce qui se joue dans les couloirs, les réunions, et les open spaces.
Et si, au lieu de pousser chacun à “jouer son rôle”, on lui permettait de retrouver sa voix ?
Et si l’authenticité devenait une compétence ?
Et si le travail cessait d’être une pièce à jouer… pour devenir une expérience à vivre, ensemble ?
Le rideau peut se lever.
Il ne tient qu’à nous d’écrire une nouvelle scène.